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Les images comptent

Ci-dessus : photo montrant Motaz Azaiza à Gaza (source The Guardian)

Faut-il montrer ces images ? Faut-il les regarder ?
Nous nous sommes posé ces questions et c’est l’absence d’images ailleurs qui nous a incités à proposer Gaza depuis le 7 octobre de Aymeric Caron en accès libre et gratuit sur CinéMutins, avec tous les avertissements nécessaires pour ne pas banaliser l’horreur et ne prendre personne pas surprise. Ces images sont « sourcées » et datées. Leur agencement chronologique leur donne un tout autre statut que des images aperçues d’un coup de pouce scrollé sur son smartphone. Au-delà du choc émotionnel qu’elles provoquent, elles entraînent une réflexion profonde sur notre monde.

Partout où se pose un regard, il y a toujours du hors-champ. Et les critiques que nous recevons parfois tournent autour de l’absence des images des morts du 7 octobre en Israël sur CinéMutins. Ces images (issues soit du Hamas soit de l’armée israélienne), nous considérons qu’elles ont été pourtant bien documentées à la télévision et qu’elles posent d’autres problèmes sur lesquels il faudra revenir quand il sera possible à de vrais journalistes et des cinéastes de commencer à travailler « sereinement » sur le sujet. « Le deux poids, deux mesures », amène obligatoirement à comparer les victimes de deux camps. Mais tomber dans le piège de mettre les victimes en concurrence est une manière de nier sa propre humanité. C’est extrêmement sordide. Personne n’aurait dû être assassiné ni être pris en otage le 7 octobre (1 205 personnes tuées dans l’attaque du Hamas selon un décompte de l’AFP, établi à partir de données officielles israéliennes. Sur les 251 personnes enlevées ce jour-là, 97 seraient toujours retenues en otage à Gaza, dont 33 déclarées mortes par l’armée). Personne n’aurait dû être assassiné à Gaza au nom des victimes du 7 octobre (40 700 morts officiels bien plus en réalité quand il sera possible de faire un bilan des disparus sous les décombres et les victimes des conséquences et du désastre humanitaire en cours). La disproportion de la « riposte » est vertigineuse, d’autant qu’elle touche les populations civiles. À Gaza, un enfant est blessé ou tué toutes les dix minutes (lire l’article du 5 septembre de l’ UNICEF : Des milliers d’enfants usés par la guerre).
En Israël, il commence à apparaitre clairement que la libération des otages n’a jamais été l’objectif principal. Les otages et leurs familles ont été trahies avec un cynisme déroutant. Personne n’a jamais permis la libération d’otages en tirant dans le tas. Cela saute aux yeux quand on regarde Gaza depuis le 7 octobre et va apparaitre de plus en plus clairement à l’ensemble du monde, peut-être même un jour sur les plateaux de la télévision et de la radio française. La découverte récente des cadavres des otages dans un tunnel montre à quel point les frappes de l’armée israélienne n’ont pas anéanti la capacité d’action du Hamas, pas plus que l’énorme machine sécuritaire israélienne n’avait prévenu l’attaque du 7 octobre.

Tous ces crimes commis en 11 mois depuis n’auraient jamais pu avoir lieu sans la complicité de nos gouvernants (passive et active parfois) et la propagande criminelle soutenus par les médias de masse et l’alliance des droites (de l’extrême centre à l’extrême droite). Contrairement au récit de la propagande, les massacres ne sont pas inéluctables. Les journalistes étrangers auraient dû être autorisés à travailler dans cette zone s’il ne s’agissait pas de tenter de masquer des crimes de guerre dès le départ. Pire encore, pour faire disparaître toute trace, les journalistes présents à Gaza ont systématiquement été visés par l’armée israélienne (selon RSF, « plus de 130 professionnels des médias ont été tués à Gaza par l’armée israélienne depuis le 7 octobre, dont au moins 31 dans l’exercice de leurs fonctions », d’autres sources comptent près de 160 morts » soit l’équivalent de la moitié des journalistes de BFM TV). Ces assassinats ciblés auraient dû occuper les « Une » des journaux au nom de la liberté de la presse (au moins), une notion qui préoccupait un peu plus les journalistes dans les conflits précédents et qui ne semble même plus un sujet. On peut d’ailleurs noter au passage que l’abandon de Julian Assange par les grands titres de presse a été un tournant historique dans la solidarité entre journalistes.

Dans la matinale de France Inter du mercredi 4 septembre, invités et journalistes constataient unanimement qu’on ne voit pas d’images de Gaza et notaient un certain déséquilibre (chose rare et presque nouvelle depuis le 7 octobre). S’il a fallu peu d’images fortes pour mobiliser l’opinion américaine et mondiale contre la guerre du Vietnam (on a tous en tête deux ou trois photos), la masse d’images produites à Gaza ne joue plus ce rôle à partir du moment où les médias traditionnels n’en montrent pas. Alors, ces terribles images que l’on peut voir, malgré tout, dans le film d’Aymeric Caron, filmées au péril de la vie de ces courageux reporters gazaouis, mais aussi parfois issus des Israéliens eux-mêmes, ne jouent pas la fonction que l’on aurait pu espérer, mais seront peut-être utiles aux générations futures. Elles serviront à ne pas oublier qu’il faut toujours tout tenter pour s’opposer à cette extrême violence d’État, manifester contre nos propres gouvernants (qui, rappelons-le, ont commencé par nous interdire de manifester), dénoncer leurs soutiens inconditionnels aux États criminels, et s’opposer à ces gens dans les urnes et partout où on peut encore s’exprimer, ne jamais baisser les yeux devant ces personnages arrogants et racistes qui inversent la morale et passent leur temps à insulter et menacer tous ceux qui ne soutiennent pas le génocide en cours.

L’histoire jugera ces gens qui ont des responsabilités et jouent un rôle d’encouragement au meurtre, certains seront sans doute condamnés pour complicité de crimes de guerre quand le vent tournera, il y aura des films de fictions pour raconter cette folie, des études sociologiques pour s’interroger sur de tels comportements… mais il est déjà trop tard pour les victimes. Les gosses découpés par les bombes ne grandiront pas et ceux qui grandiront auront parfois de drôles d’idées en tête. Il faudra redoubler d’efforts pour construire la paix.

Quand la réalité est niée, l’urgence est de montrer ce qui se passe en ce monde pour que personne ne puisse dire : « on ne savait pas ! »

Quand 65 cinéastes palestiniens signent une lettre accusant Hollywood de « déshumaniser » les Palestiniens, nous devons prêter une grande attention aux images qui sont produites dans ce siècle qui semble parfois ne pas avoir beaucoup appris du précédent.
La lettre des cinéastes se termine ainsi : « Nous appelons nos collègues internationaux de l’industrie cinématographique, qui partagent, nous le savons, notre vision d’un monde où il ferait bon vivre, à dénoncer ce génocide et l’effacement, le racisme et la censure qui le rendent possible — à faire tout ce qui est humainement possible pour arrêter et mettre fin à toute complicité avec cette horreur indescriptible, et à s’opposer à toute collaboration avec des sociétés de production qui sont clairement complices de la déshumanisation du peuple palestinien, et/ou qui blanchissent et justifient les crimes d’Israël contre nous. Il faut que cela cesse. Maintenant. »

 Lire la lettre des 65 cinéastes palestiniens accusant Hollywood.

 Lire notre article de présentation de Gaza depuis le 7 octobre.

PS : Trois prix ont été attribués à des photographes gazaouis à Visa pour l’image à Perpignan, suscitant une réaction de l’extrême-droite et des autres soutiens au gouvernement génocidaire israélien. Lire l’article du Monde du 9/9/24 : Le conflit israélo-palestinien agite le festival de photojournalisme de Perpignan

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